Dans un hôpital de la région parisienne, un psychiatre se dévoue à sa mission au risque de perdre pied.
Comment bien soigner dans une institution malade ? Dans un hôpital de la région parisienne, le Dr. Abdel-Kader, psychiatre de liaison, navigue des Urgences au service de réanimation, de patients atteints de troubles mentaux à ceux qu’une maladie chronique retient alités. En dépit des impératifs de rendement et du manque de moyens, il s’efforce d’apaiser leurs maux.
Nicolas Peduzzi grandit en Italie où il entame des études de théâtre et de cinéma. Il s’installe ensuite aux États-Unis pour suivre les cours de nuit de Susan Batson et réalise alors plusieurs courts métrages autofinancés avant un premier long métrage, Southern Belle, sorti en France en 2018. Le film est présenté dans de nombreux festivals, intègre la sélection Best of doc du « Mois du documentaire » 2019 et remporte le Grand Prix du FID Marseille. Nicolas réalise ensuite Ghost Song, sélectionné à l’ACID en 2021, lauréat au festival de Séville, sorti en salles en 2022 et shortlisté par Vice aux États-Unis.
État Limite, lauréat du Prix du Jury au CPH:DOX 2023 et présenté à l’ACID Cannes 2023, est son troisième long métrage.
A propos du psychiatre :
Fils de médecins syriens établis en France, Jamal Abdel-Kader a grandi dans les couloirs de l’hôpital public. C’est là qu’il se sent chez lui, là qu’il a décidé de poursuivre sa vocation de psychiatre. Depuis 5 ans, il exerce en tant que médecin de liaison dans des hôpitaux publics parisiens.
L’essentiel de sa patientèle se compose de personnes affectées de maladies génétiques graves, de personnes en fin de vie, de rescapé.e.s de tentatives de suicide exigeant un suivi quotidien et personnalisé. En parallèle, il forme de futur.e.s soignant.e.s à la pratique délicate de la psychiatrie.
Notes d'intention :
"L’hôpital public français a toujours eu pour moi un visage amical : c’est lui qui avait sauvé mon père en 1990, lui qui m’avait accueilli et soutenu en service psychiatrique lorsque j’en avais eu besoin. Il y a quatre ans, la crise sanitaire a révélé l’ampleur du mal-être de l’institution, mais les causes de la gangrène étaient évidemment plus profondes. J’ai voulu les interroger, comprendre où et comment s’était ouvert la brèche, et je me suis mis à filmer le quotidien des soignants de l’hôpital Beaujon. Là, j’ai rapidement rencontré Jamal, figure indispensable et controversée. Indispensable : c’était le seul médecin psychiatre de l’établissement ; controversé ; malgré sa jeunesse, malgré tout son amour pour l’hôpital, il travaille vent debout contre les évolutions drastiques de l’institution, qui contredisent frontalement ses valeurs humanistes. Chaque jour, baskets aux pieds, il gravit et dévale à l’infini les escaliers de fer, courant d’un service à un autre et d’un chevet à un autre. Jamal, c’est Sisyphe, et Beaujon sa montagne. Notre premier contact fut frontal : en pleine explosion Covid, Jamal se méfiait des journalistes. Il a fallu que je montre patte blanche et lui prouve que ma démarche n’était pas journalistique. J’ai donc pris mes quartiers à Beaujon pour accompagner ses médecins et ses patients au long cours. C’est là ce qui l’a convaincu : le temps, c’est le cheval de bataille de Jamal. Dans un environnement déraisonnable de vitesse, qui enterre les gens sous les chiffres, il se fait un devoir de prendre son temps avec ses patients et leurs proches, et de leur offrir l’attention et l’écoute que personne ne veut, ne peut plus leur prêter. Il apaise, rassure, oriente avec une patience infinie. Un des enjeux du film, pour moi, est donc de faire exister ensemble ces temporalités contradictoires : d’un côté le rythme effréné de l’hôpital, en état d’urgence permanent – longs couloirs surpeuplés, échanges entre deux portes, cris des patients en demande d’attention ; de l’autre, les bulles de temps que Jamal aménage pour ses patients, imperméables au chaos. Pour ses patients, mais aussi pour ses collègues : Jamal leur a consacré beaucoup de son temps et de son énergie pendant le Covid, et certains ont gardé l’habitude de s’ouvrir à lui de leurs problèmes. Le film fait donc aussi entendre les voix de Romain, aide-soignant, d’Alice et de Lara, les internes qui le secondent au quotidien, d’Ayman, ancien patient devenu stagiaire. Toutes et tous partagent une même vocation et racontent l’amour du soin, mais aussi le vertige face à la souffrance des patients, leur propre mal-être, leurs doutes et leurs aspirations.
Jamal et ses internes sont les seuls médecins de Beaujon à circuler dans tous les services. A travers eux, j’ai donc eu accès à l’ensemble de l’hôpital. Partout le même constat : manque de financements, de lits, de personnel et de temps. Tant de manques pourraient se payer d’un défaut d’attention. Ce n’est pas le cas : les soignants de l’hôpital Beaujon retendent chaque jour leur effort vers l’idéal humaniste qui les a conduits à s’engager. Pour autant, tout le monde n’est pas prêt à sacrifier sa vie et sa santé sur l’autel de ses idéaux. Jamal est un personnage à part, hors du commun, dostoïevskien, un peu border en fait, qui substitue au monde tel qu’il est, le monde tel qu’il voudrait qu’il soit. Le problème, c’est que le réel menace toujours de le rattraper. C’est son corps qui a donné l’alerte le premier : une douleur lombaire s’est installée au fil des semaines. Et avec la douleur, le doute. Le film soulève ainsi le masque de confiance affiché par Jamal pour révéler ses doutes : a lui aussi, il semble parfois que les lignes ne bougeront pas assez vite, et que l’épuisement, la solitude, le manque de reconnaissance et le découragement finiront par avoir raison de sa vocation.
Le film raconte la force de son idéalisme, mais on comprend que Jamal doit accepter les limites de son humanité. Lorsque Jamal est au chevet de ses patients, je recueille leur témoignage. Je suis sensible aux personnalités troubles, et je partage avec Jamal cette idée que le dérèglement d’une société se mesure à la façon dont elle traite ses « fous ». Après deux premiers documentaires sur des personnages tourmentés aux États-Unis, État Limite fait entendre la souffrance des gens qui échouent ou se réfugient à l’hôpital, et que notre société française s’arrange pour ne pas voir. Au fond, l’hôpital Beaujon est un territoire aussi difficile d’accès que la banlieue de Houston, et les névroses des uns et des autres résonnent à l’unisson.
De manière générale, la gestion des troubles psychiatriques en France m’interpelle. Méconnue par les uns, dénigrée par les autres, la psychiatrie est indispensable à l’épanouissement de notre société. Le décalage entre la fragilité des patients et la rigidité de l’institution, trop bureaucratique, trop protocolaire, est intolérable. Intolérable, enfin, le fait que des médecins doivent assumer la tâche écrasante de soigner les hommes que la société a rendus fous". - Nicolas Peduzzi
Cette plongée au cœur de cet établissement, et de ce métier, est impressionnante. Comment ne pas tomber malade, ou devenir fou au contact de ces malades, mais surtout avec le rythme fou imposé, et le nombre de personnes qu'il faut examiner ?
Le Dr Jamal Abdel-Kader n'est pas un psychiatre comme les autres. Il n'enchaine pas les patients, il prend son temps, échange avec eux et il a un pouvoir de communication immense afin de faire parler ces personnes mal dans leur peau et qui ont fortement besoin d'aide.
Dans État Limité, le manque de personnel, de matériels dans un hôpital de l'assistance publique est vraiment bien décrit, et avec certainement un petit salaire, ces salariés se donnent comme jamais afin d'obtenir un résultat, parfois en vain.
Lorsqu'ils arrivent à soigner une personne en détresse, pour eux c'est une joie intense. Pourtant cette souffrance est bien présente, mais parfois non reconnue comme une maladie, et l'on comprend que ce service est parfois laissé pour compte.
Grâce au réalisateur, et aux protagonistes qui ont bien voulu se laisser filmer, on suit au plus près les différentes histoires. Chaque malade est différent, et bien que l'on regarde chaque cas, ce film est surtout là pour montrer les dysfonctionnements qui peuvent exister dans ce genre d'hôpital, et l'on se dit que le métier de psychiatre serait peut être mieux dans un établissement privé et mieux payé, mais ce n'est pas ce qui importe à ce médecin.
On peut noter ce mélange de clichés et de film, avec des photos belles mais graves, et une musique qui l'est tout autant.
Les praticiens humains, qui prennent le temps, sont uniques désormais et le Dr Jamal Abdel-Kader est un homme à part. Exceptionnel il l'est, mais ne le sait pas lui-même, il accomplit simplement son travail. Il nous entraine tout au long de ce documentaire avec lui et on se pose la question de savoir comment il fait pour se démultiplier. On ressent parfois le mal-être des patients, mais aussi parfois de son abattement, mais qui ne dure jamais longtemps, qui se bat parfois contre des moulins à vent.
Un être inestimable qui mérite une reconnaissance infinie. Un film rare et authentique.
MA NOTE : 3.8/5
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